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OPINION
4 octobre 2020

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Automne, saison des pommes.
Saison de l’approche de l’hiver monotone.
Dernières chaleurs, dernières insouciances, derniers rêves, le temps d’un somme sous les pommes.
Les mois passent plus vite que les jours et chaque jour, je vois le soleil qui meurt trop tôt, encore plus tôt que la veille. L’été se dissout au fond d’une flaque née de la pluie froide d’automne et ce dernier devient peu à peu une ombre chimérique et lointaine.

Ce n’est toutefois pas encore la fin des haricots. Revenons à nos moutons bêlant encore sous le couvert du soleil d’un soir d’octobre avant qu’ils ne rentrent dans l’établi pour le grand gel. Nous, habitants de la ville de Québec et de ses alentours, sommes encore bercés par les doucereux après-midi de l’été indien et il faut s’en réjouir ! C’est une bonne option que d’être heureux! Être heureux, ça facilite les choses vous verrez, ou le voyez déjà. Mais comment, au grand comment être heureux?

Il faut se contenter des petits détails. Comme manger une bonne pomme en automne. D’ailleurs, j’en mange une. Voyez, c’est une pomme bien ronde, aux courbes franches et assumées. Une pomme bien rouge comme les friandises gourmandes, les pommes d’amour, pour les amoureux le temps d’un manège. Une pomme bien tentante, je comprends Ève, elle vaut bien la mortalité.

Ainsi, énumérant les multiples images d’une même pomme, je réalise qu’elle est un symbole fort de nombreuses histoires qui ont façonné autant les esprits des grands que des petits enfants. Je suis certaine que vous pouvez penser, à l’instant même, à un récit ayant comme acteur une pomme. Puis, quand on y pense, c’est un des seuls fruits qui détient une symbolique aussi forte. Quelle histoire aurait pour emblème une poire, un kiwi ou une papaye, dites-moi? Je n’en connais pas, aussi peut-être suis-je ignorante. Néanmoins, je pense que la pomme reste le fruit emblématique le plus significatif. Laissez-moi vous le démontrer.

Varions les variables temps et espace en gardant la constante pomme. Il y a très longtemps, plus longtemps qu’au moins 1000 fois mon âge, c’est la pomme qui a créé le monde. À la fois fruit du mal et de la création, elle était mère du mortel et misérable humain. La pomme est symbole de l’interdit, de la connaissance du bien et du mal. Or, on ne peut vivre éternellement dans le paradis de l’ignorance et de la chasteté. Il y a du beau comme il y a du laid, c’est dans l’opposition que la réalité existe.

Après que le monde soit, la pomme est restée élément de trouble. Quand la Grèce était le cœur de l’humanité, la pomme n’a toujours pas fini de faire du tort. Lors du mariage de la déesse Théthis, Éris, déesse de la Discorde, propose que l’on offre une pomme d’or à la plus belle femme parmi Athéna, Héra et Aphrodite. Mais choisir une femme, ça cause toujours des problèmes, surtout quand il faut choisir la plus belle. Parce que la beauté est dans les yeux de celui qui regarde. L’homme à qui l’on demande de choisir, Pâris, se décide sur Aphrodite, déesse de l’amour passionné, de la beauté, bref symbole du désir aveugle et des tentations libertines. Puis, tout s'enchaîne. La déesse convainc Pâris d’enlever à ces ennemis une femme qu’il convoitait. Mauvaise idée, et voilà la guerre de Troie. Tout ça à cause d’une pomme, d’où l’expression « pomme de la discorde ».

En remontant moins loin encore, on remarque que la pomme est toujours là. Chez les Gaulois, Merlin enseigne sous l’ombre d’un pommier, sous l’ombre de la connaissance. Blanche-Neige se voit séduite puis trompée par la trop belle et trop rouge pomme. Elle en subira les conséquences, manger le fruit défendu n’est pas sans risque, ne le sais-tu pas ma belle? Puis, on peut presque dire que la gravité apparue après qu’une pomme ait la bonne volonté de remuer les méninges d’un homme en lui tombant sur la tête. Elle a bien choisi sa victime et nous remercions depuis Newton, mais pas le fruit, qui est pourtant le vrai génie! Puis, c’est au tour de New York de se personnifier en une grosse pomme, une Big Apple. Tout ça, c’est la pointe de l’iceberg, des histoires avec des pommes, il y en a à gogo.

Au final, la pomme est multiple. La pomme est un mal et un bien, la pomme est une révélation, la pomme est à la fois amour et haine et chaque fois, elle crée une nouvelle réalité. Je me demande quelle sera notre prochaine pomme prophète. Je mange toujours ma pomme et j’ai l’impression de manger tout un monde et ça me rend étrangement heureuse. Puis, à travers la fenêtre de ma chambre, les derniers rayons du soleil s’évanouissent à l’horizon de ce jour d’automne et réchauffent le pan gauche de mon visage, et ça, ça me rend encore plus étrangement heureuse. Voilà, c’est pas grand-chose que de répondre à la question comment être heureux, vous y penserez la prochaine fois que vous mangerez une pomme.

Automne et des pommes

Coline Bertrand

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