
OPINION
11 décembre 2020

Shut ! Arrête, tu es vraiment gênant.e. Oh mon dieu, tu parles fort. À quel point ton rire est perçant, ça en est énervant. Coudonc, tu marches fort, as-tu des roches dans tes souliers ? Arrête de parler, tout le monde peut t’entendre. Est-ce que ça t’arrive de respirer ? Cesse de bouger, tu attires toute l’attention. Comment tu fais pour ne pas te rendre compte que tous les gens te fixent ? Ne te lève pas, on va te juger. Est-ce que tu vas vraiment venir habillé.e comme ça, pas préparé.e du tout ? Tu me fais honte. Sérieusement, arrête d’éternuer aussi bruyamment. Tu es bien trop investi.e. Peux-tu te taire ?
Non. Hors de question.
Dans ce monde de jugements, je persiste à faire à ma tête. À être différent.e de tous. De faire entendre ma voix, aussi portante soit-elle. Vous venez de lire une abondante liste pourtant incomplète de commentaires que j’ai déjà reçus à propos de ma personnalité si « intense ». Si vous saviez à quel point cela me blessait, avant. Ça me brisait petit à petit tellement le sentiment était horrible. Ça me forçait à supprimer des parcelles de ce que je suis. Le noyau de mon âme. Mon moyen d’expression. J’ai, à peu de choses près, réussi à évincer ces côtés de moi. Presque réussi. Puis, j’ai lentement repris des couleurs, de la saveur. Comme d’autres, je travaille maintenant continuellement à forger la carapace qui fera rebondir tous les jugements, pour qu’ils ne m’atteignent jamais.
Néanmoins, tout ça m’amène à penser. Réfléchir aux raisons pour lesquelles j’ai même considéré de minimiser qui je suis, mais aussi aux raisons pour lesquelles les gens ressentent le besoin de me faire part de leur malaise. Je ne blâme pas la personne individuellement, mais plutôt la civilisation dans laquelle nous nous sommes construits. Pourquoi tentons-nous de renier les parties les plus intéressantes de nous ? Je suppose que nous avons peur. Peur du jugement. Peur de ne pas être assez. Peur d’exister à l’extérieur du dôme métaphysique idéologique qui nous entoure. Peur d’être nous. Peur d’être vrai.
Évidemment, plusieurs ont cherché les causes du phénomène. Divers psychologues, thérapeutes et sexologues disent que ce peut être héréditaire. Ils.elles prétendent que certains.es auraient, biologiquement, une prédisposition à prendre davantage en considération ce que pensent les autres. Quelques-uns.es mentionnent l’aspect de l’éducation reçue, notamment chez des bambins.es, alors que d’autres s’appuient sur l’environnement et les expériences aussi bien « typiques » que « traumatisantes » vécues chez l’individu. À ces multiples hypothèses s’ajoute immanquablement le manque d’estime de soi. Mais n’est-ce que ça ?
Je renie la croyance que c’est permanent et inné. C’est trop facile de mettre la faute sur ce que l’on ne contrôle pas. Je conteste que nous devons nous conformer aux structures établies pour être naturellement acceptés.es. Nous avons mis en place ces institutions, nous pouvons les changer. Je rejette la pensée que les gens sont fondamentalement fades et neutres. La vie nous semble déjà assez terne. Nous sommes ce qui rend notre planète animée. Je refuse de me soumettre à l’idée qu’on est heureux.ses dans ce monde déshumanisé. Nous ne sommes pas bien, mais nous pensons l’être parce que nous sommes confortables. Il n’est pas question de personnalité, mais de besoins primaires. J’observe un peu partout les plus jeunes. Combien de fois nous sommes-nous plaints des petits.es qui pleurent et qui crient dans l’allée du magasin ? Les enfants, encore émerveillés par ce qui les entoure, ne se préoccupent que rarement de ce que les autres pensent. Leurs pensées ne sont gouvernées que par ce qu’on leur a enseigné. Il y a quelques mois, j’ai tenu un bébé naissant dans mes bras pour la première fois. Je n’avais jamais vu ou tenu une pureté, une innocence pareille. Nous naissons dans ce moule, mais ne naissons pas moulés.es.
La peur du jugement serait alors un concept instauré par la société. Et nous composons la société. Donc, nous avons bâti ceci, les élites ont bâti cela. Toutes ces normes sociales, que nous avons nous-mêmes mises en place, nous emprisonnent tel un filet du diable. Plus on essaie de se libérer des griffes de la conformité, plus les murs de notre prison idéologique rétrécissent. Ça me rappelle quelque chose. Nous avons, la plupart, déjà visionné la vidéo de quelques personnes complices patientant dans une salle d’attente. Un bruit sonore retentit, tout le monde se lève. Un.e individu, qui n’a pas été informé.e de l’expérience, entre dans la pièce et observe la situation. Il.elle prend place dans l’une des chaises, d’abord perplexe. Celui.le-ci finit par se lever également au signal audio, sans même comprendre ou se questionner sur ses actions, même lorsque tous les autres ont quitté la pièce. Cela illustre parfaitement mon point. Nous sommes décidés.es à tout essayer pour correspondre aux attentes institutionnelles, nous exemptant ainsi de la possibilité de s’interroger sur la valeur des normes.
La peur du jugement est un phénomène qui se cause et qui se résulte de lui-même. Cette peur irrationnelle est fondée sur le précédent que les autres n’accepteront pas certains comportements. Toutefois, ces mêmes comportements ne sont, eux, pas acceptés parce que la règle dit qu’ils ne doivent pas être autorisés, car ils sont anormaux. Ça tourne en rond indéfiniment. Bref.
Je suis humain.e. J’ai grandi dans cet univers. Je suis conscient.e d’être infecté.e par le conformisme. Cependant, j’apprends tous les jours. Je peux, à présent, affirmer que mes comportements ne portent atteinte à aucun droit d’autrui. Je ne fais que déranger nos mentalités bien serrées. Ce n’est pas la peine d’essayer de me faire taire. La réponse reste non. Je ne vais pas non plus me plier aux standards selon lesquelles je dois être vêtu.e comme ceci et ressembler à cela.
Je vais parler aussi fort que je le veux aussi longtemps que je le peux. Et vous ?
Nota Bene : Je vous invite à regarder cette vidéo.
Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=kiklt9OiH-Y
JE PARLE FORT
An Meilodi Paquet