
TEXTE D'OPINION | 4 décembre 2020

2005. Ellen Johnson Sirleaf est la première femme élue présidente en Afrique, au Libéria.
2014. Malala gagne le prix Nobel de la paix pour avoir défendu la scolarité des jeunes filles pakistanaises.
1884. Sarah Wunnemica devient la première femme autochtone à s’adresser au Congrès des États-Unis.
1944. Huda Sha’arawi fonde l’Union féministe égyptienne et organise des manifestations à travers le pays et retire son voile en public.
Ce qu’elles ont en commun, ça saute aux yeux ; elles sont toutes femmes. Alors pourquoi est-ce que ça ne suffit pas à les qualifier de féministes ? Ellen Johnson parlera désormais au nom des femmes libériennes, mais pas au nom des femmes. Malala a libérée les femmes pakistanaises, mais pas les femmes. Sarah Wunnemica représente les femmes autochtones, mais pas les femmes. Huda Sha’arawi est militante pour les femmes égyptiennes, mais pas pour les femmes. « Elles ne sont pas féministes, elles défendent leur culture, c’est tout. » Pourquoi cette séparation entre les luttes existe-elle ? L’Histoire n’a-t-elle pas prouvé, à multiples reprises, que nous sommes plus forts quand nous sommes unis ?
Appartenir à plusieurs groupes opprimés, c’est l’intersectionnalité. C’est plus difficile de trouver sa place, de choisir ses batailles, puisqu’il faut constamment défendre chaque partie de soi. Moi, étant une fervente activiste féministe, je me suis toujours battue pour le droit de toutes les femmes… ou c’est ce que je croyais. C’est facile de se lancer des fleurs et de s’applaudir quand on voit des changements dans notre communauté. C’est plus difficile de recevoir la claque quand on se rend compte que tant de femmes ont été laissées de côté. C’est plus difficile de constater que des femmes homosexuelles doivent se démener seules pour faire valoir leurs droits et leurs valeurs. C’est plus difficile de se rendre compte que des femmes autochtones doivent attendre des scandales dans les journaux pour qu’enfin on s’attarde à leur cause. C’est plus difficile de se rendre compte que les femmes musulmanes doivent garder la tête haute, seules, quand elles se font juger sur leurs vêtements. C’est plus difficile quand on se rend compte que les femmes noires doivent prouver que leur existence est aussi valide que celle des autres.
J’ai voulu aller interroger des femmes de mon entourage, inspirantes et magnifiques dans leurs différences. Aya, une jeune femme musulmane, qui a choisi de porter le voile, s’exprime sur les différents préjugés. « Je sais que plein de femmes de ma communauté se sentent rejetées et mal comprises. [...] Les gens qui pensent que le voile est signe de soumission ne comprennent pas. C’est une soumission à Dieu, pas aux hommes. Ils disent que je ne suis pas libre, mais définir ma liberté, c’est aussi la restreindre. » Ses mots m’ont beaucoup touchée et m’ont fait réaliser une chose : la base des préjugés, c’est la désinformation. On ne peut pas savoir tout sur tout, mais en tant que féministe, ne devrions-nous pas au moins savoir cela ? Pour Aya, certaines personnes féministes sont informées et sont donc de bonnes alliées, d’autres se disent féministes, mais gardent leurs préjugés. Être féministe, ce n’est pas le crier sur tous les toits et respecter les femmes qui nous ressemblent. Être féministe, c’est être assez informée pour être capable de défendre toutes les femmes.
D’autres femmes, pour leur part, sont dans l’intersectionnalité par rapport à leur sexualité. Dans le mouvement féministe, on parle beaucoup de viol envers les femmes par les hommes. Qu’en est-il des viols sur femmes de la communauté LGBTQ+ ? Qu’en est-il des fantasmes malsains de certains hommes par rapport à deux femmes ensemble ? Qu’en est-il des statistiques qui prouvent que les femmes Trans et homosexuelles ont horriblement plus de chances de subir des féminicides ? « Ces statistiques [féminicides] s’aggravent chez les femmes autochtones, racisées ou faisant partie de la communauté LGBTQ +. », affirme Le Devoir, dans l’un de ses articles. Catherine, qui est Queer, trouve qu’on ne parle pas assez des femmes de sa communauté, ce qui peut mener à certaines actions déplaisantes. Par exemple, elle raconte que d’autres personnes ont parlé de sa sexualité avant qu’elle soit prête. « Se faire “out” avant qu’on soit prêt, c’est pas quelque chose qui se fait. » Nina, qui considère son genre fluide (gender fluidity) et qui est bisexuelle, a reçu plusieurs commentaires de la part de sa propre famille et en voit à longueur de journées sur les médias sociaux. « C’est sûr que le féminisme met beaucoup les femmes blanches occidentales de l’avant, mais je sens que de plus en plus, on essaie de faire changer ça. » dit Nina. En effet, dans toutes les entrevues, ce qui revenait le plus souvent, c’était que certains problèmes semblent avoir moins d’importance au sein du mouvement. Par exemple, les différents termes liés à la communauté LGBTQ+ ne sont pas tellement expliqués, les problèmes des pays en développement ou même sous-développés sont souvent oubliés, les femmes handicapées et de couleurs ne sont presque pas représentées et les femmes Trans et les personnes non-binaires ne sont pas ou peu incluses dans la lutte.
Alors, qu’est-ce qu’on fait pour changer ça?
1. S’informer et écouter
Pourquoi ne pas s’informer sur Courrier international et non à TVA nouvelles, pour avoir un point de vue plus global, par exemple ? Pourquoi ne pas avoir des discussions profondes avec des femmes différentes, pour qu’on puisse mieux se mettre à leur place ? Pourquoi ne pas arrêter de parler trente secondes et enfin écouter ?
2. Laisser la parole aux autres
Bien que ce ne soit que de bonnes intentions, les femmes blanches hétérosexuelles ne sont pas les mieux placées pour parler des différences. Pourquoi ne pas donner le micro à ces communautés ? Si vous avez plus que ne serait-ce qu’un seul abonné sur vos plateformes, donnez donc la parole à une femme différente un de ces jours ? Partagez des points de vue et témoignages venant des quatre coins du monde, laissez tomber l’Occident quelque temps, il s’en sortira très bien tout seul.
3. Parité
La parité, c’est avoir le même nombre d’hommes et de femmes au sein d’un gouvernement ou d’un groupe. Pourquoi ne pas faire la même chose au sein des comités, des pages Instagram féministes ou dans les revendications et les manifestations, mais pour les femmes de différentes communautés ? Le plus de couleurs, de formes, de valeurs et de sexualités possible. Alors là, on pourra dire que le féminisme représente toutes les femmes.
Le féminisme ne sera féministe que quand on verra autant de femmes XL que de XS sur les couvertures de magazines. Le féminisme sera féministe quand on donnera la parole à d’autres qu’à nous-mêmes. Le féminisme sera féministe quand toutes les différences seront comprises. Le féminisme sera féministe quand mononcle Gérard pourra différencier la bisexualité de la pansexualité. Le féminisme sera féministe quand les scandales d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud feront la une des journaux. Le féminisme sera féministe quand les femmes portant le voile seront également respectées que les femmes n’en portant pas.
À partir de maintenant, je serai une féministe, une vraie.
Et vous ?
L’intersectionnalité dans le féminisme
Valérie Montour, avec la collaboration d’Emmanuelle Hudon, pour le comité Artémis