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LETTRE OUVERTE | 12 février 2021

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Corde sensible. J’ai toujours, malgré moi, ce sentiment qu’elle constitue un thème tabou. Je ne sais jamais comment agir. Quoi dire, quoi faire. J’ai plus que tendance à l’éviter et à ne poser des questions que sur le nécessaire. Je ne suis pas totalement à l’aise pour parler d’elle, comparé à bien d’autres. Avec un discours comme le mien, c’est difficile de croire que je suis, moi-même, issu·e d’elle, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est vrai. Mes parents m’ont adopté·e lorsque j’avais 13 mois.

Je veux fermement préciser que l’adoption est une expérience subjective composée de quelques éléments objectifs, ce qui implique que chacun la vit différemment. Voici le verso de ma médaille. Je me livre à vous, corps et âme, pour vous exposer cette partie de ma vie privée, car c’est un devoir que je me donne d’en parler et de contrer l’ignorance qui y est reliée. Quoique je puisse écrire, vous ne pourrez jamais comprendre mon unique réalité, mais peut-être réussirai-je à initier une conversation sur le sujet.

« Comment c’est, être un enfant adopté ? »  

D’abord, l’adoption. Mes parents m’ont adopté·e alors que je n’étais qu’un poupon. Je n’ai pas concrètement connu autre chose. Vous me posez tellement de questions sur le sujet. Vous assumez plusieurs choses sur mon histoire et mon présent. Vous vous permettez de nommer ma réalité. Vous osez remettre en doute les propos que j’associe à mon expérience personnelle.

D’aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours senti·e différent·e des autres. Je remarque que je n’ai pas la rosette de ma mère, les arcades sourcilières de mon père ou les fossettes de ma sœur. Plusieurs hypothèses sont fréquemment émises en observant mon portrait familial. Des questions, à mon avis, plutôt indiscrètes surviennent et je sens une puissante pression à y répondre. Quand j’offre des réponses qui semblent très peu admissibles pour vous, je découvre alors votre regard, totalement différent, posé sur moi malgré vos efforts pour le cacher. Ladite question — « as-tu été adopté·e ? » —  vient habituellement assez rapidement lors de ma rencontre avec de nouvelles personnes. Je reste toujours sur mes gardes. Je peux donner l’impression d’être en contrôle, mais au fond, j’aimerais que vous ne vous permettiez pas toutes ces questions sur mon histoire.

En fait, je suis comme vous, à quelques différences près. J’ai grandi dans Beauport et j’ai fréquenté l’école de quartier. Je reproduisais les habits de ma sœur à son grand désespoir. Mon poisson se nommait Blue en l’honneur des Schtroumpfs. J'adorais jouer à Cache-cache. Mes parents ont divorcé lors de mes cinq ans. Mon enfance était assez typique.

« Est-ce que tu es Chinois·e ? C’est quoi ta race ? »

Ensuite, mon origine. Je suis né·e en Chine. Voilà, tout le monde le sait maintenant. Ce n’est plus un secret. Ça ne l’a jamais été. Néanmoins, je trouve ça particulièrement envahissant lorsque vous me demandez « d’où je viens » avant même de revendiquer mon prénom. Vous me questionnez aussi à propos de « ma race ». Le simple fait de l’écrire m’enrage. Je suis conscient·e que cet indéniable manque de respect est causé par l’anglicisme ou par votre stupide ignorance, mais nous sommes en 2021. Je ne suis pas un animal. Éduquez-vous. J’ajouterais également que, non, mes parents ne m’ont pas « acheté·e » comme vous le faites pour un bien matériel. Je ne suis pas non plus un objet. Cependant, il est vrai que dans mon cas, ils ont dû débourser un certain montant pour couvrir les frais du séjour en Chine, notamment le billet d’avion et la chambre d’hôtel.

Bien, passons. Cours Géographie 101. Si vous ne le saviez pas encore, la Chine est un des pays parmi tant d’autres qui composent le continent de l’Asie. Il serait pertinent et pressant de cesser d’assumer que toutes les personnes au physique typiquement associé aux Asiatiques de l’Est sont Chinoises. C’est vraiment agaçant et c’est entièrement faux. Si vous voulez savoir si j’ai des origines différentes des vôtres, demandez simplement. N’empêche que, pour ma part, si vous ne connaissez pas même mon nom, ce n’est pas la peine d’essayer. Questionnez-vous sur la personne que je suis et non sur l’endroit d’où je viens. 

« Ressens-tu un sentiment d’appartenance plus fort envers la Chine ou le Québec ? » 

J’ai l’impression que vous pensez tout connaître sur moi et sur mon histoire, mais vous n’avez aucune idée. La quête de l’identité a évidemment toujours été un enjeu important dans ma vie. Plus jeune, je répondais que j’étais 50/50 ou 100 % Chinois·e, mais aussi 100 % Québécois·e. Vous me disiez que ce n’était pas possible parce que, d’une part, je n’avais pas conservé les traces de mon héritage chinois et, d’autre part, je ne serai jamais Québécois·e considérant mon apparence et mes origines. Je devais, à vos yeux, être ceci, cela ou encore un peu des deux. Pourtant, lorsque j’acceptais d’adhérer à une catégorie pour correspondre à votre conception, ce n’était pas assez. Aucune de mes réponses ne semblait vous satisfaire, vous, public, pour qui j’avais l’impression d’être une bête de foire.

Plus je vieillissais, plus je me sentais imposteur. Comme une banane, soit blanche à l’intérieur et jaune à l’extérieur. Pas assez Québécois·e. Pas assez Chinois·e. Déchiré·e par la brutale classification. Éberlué·e par le manque de représentation. J’étais existant·e, pourtant caché·e. Semblable à une honte. Les rares fois où l’on signalait ma présence étaient de minables caricatures dans lesquelles on m’identifiait comme le pauvre orphelin du « tiers monde » sauvé par de gentilles personnes caucasiennes.

Surtout, je ne pouvais pas être seulement et parfaitement moi. J’étais le·la Chinois·e ou l’Adopté·e. Vous ne parliez pas de moi pour la personne que j’étais. J’ai des rêves, vous savez; des proches, des valeurs et des passions.

Être adopté d’une culture étrangère est, je pense, légèrement différent à d’autres adoptions et cela est un ajout à la complexité de ma recherche d’identité. Vous voulez une réponse à la question, je le sens. La vérité, c’est que je n’en ai aucune idée. Ça dépend des périodes. Ça dépend de comment je me sens. Ça dépend de ce que je fais de ma journée. Il m’arrive de ne me sentir aucun de deux. Souvent, un peu des deux. Parfois, un plus que l’autre. Majoritairement, ma réponse s’arrête sur une énorme enseigne fluorescente « je ne sais pas » et je suis éreinté·e de me poser continuellement la question pour apaiser votre insatiable curiosité. J’essaie candidement de ne pas laisser cela me retenir, car je suis tellement plus que Chinois·e ou Québécois·e, plus qu’homme ou femme et plus que bisexuel·le ou pansexuel·le. Je suis un être humain à part entière avec des ambitions et un avenir. C’est tout ce qu’il y a à savoir. C’est tout ce sur quoi j’ai du pouvoir.

« Aimerais-tu rencontrer, un jour, tes vrais parents ? »

Vous ne savez pas à quel point ça m’insulte lorsqu’on utilise le terme « vrais parents ». Mes parents, mes vrais parents, m’ont élevé·e avec amour et ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient comme la plupart des tuteurs. J’aimerais que vous arrêtiez systématiquement d’employer ce terme pour désigner les géniteurs ou parents biologiques. C’est blessant, c’est inexact et cette discussion ne mènera à rien de constructif. De plus, la question en elle-même m’apparaît comme nettement déplacée. Ce pourrait équivaloir à demander à cet individu, dont son père l’a quitté à l’âge de 2 ans, s’il aimerait le retrouver. Si vous ne me connaissez que depuis peu, je considère que ce n’est pas vos affaires. C’est personnel et très invasif. Si vous avez vraiment à le demander pour des raisons justifiables, faites-le délicatement avec les mots justes.

« Est-ce que tu as le Covid ? »

J’ajoute à cet article un gros astérisque sur le Covid. Comme plusieurs le savent, l’apparition du virus a été une période extrêmement difficile pour les communautés asiatiques. C’est un an plus tard que je me sens enfin prêt·e à en parler ouvertement. Pendant les premiers mois de la pandémie, j’avais peur de sortir de chez moi, je redoutais de tourner les coins de rue, j’évitais de fréquenter les endroits publics. J’étais craintif·ve parce que, chaque fois, on me lançait des regards haineux et des commentaires discriminatoires. Mes proches d’origine chinoise subissaient du racisme effrayant pendant que les vidéos sur internet se multipliaient.

Quand j’étais plus jeune, j’avais le sentiment d’être différent·e de par mon physique qui n’est pas similaire à la majorité caucasienne autour de laquelle j’ai grandi. Je me faisais petit·e et je ne voulais pas attirer l’attention sur ma marginalité. Je ne pensais pas pouvoir me sentir à nouveau ainsi. Ça me faisait mal d’avoir peur d’être moi. J’ai vu, sur internet, quelqu’un désigner le covid-19 de « virus chinois » argumentant que le virus venait de Chine. Une autre personne a répondu « tu es sorti de ta mère, mais on t’appelle par ton prénom ». Ça m’a d’abord amusé·e, puis rendu·e déconcerté·e et fâché·e de penser que j’évolue dans ce monde. Un monde, qui non seulement garde les traces des pires horreurs de racisme, mais aussi dans lequel certains individus font de la discrimination plutôt que de se serrer les coudes dans des périodes aussi difficiles. Et pas uniquement avec cette grippe.

Encore une fois, je souligne que c’est ce que je pense pour ma personne. Plusieurs sont extrêmement à l’aise pour parler de leur adoption ou de leur immigration. Je les félicite, mais mon passé et mes apprentissages ont construit l'individu complexe que je suis. Je reste cependant fier·ère de ce que je vois lorsque je me regarde dans le miroir. J’y vois mes origines, ma force et, surtout, ce que je peux offrir au monde.

Bref.  

Faites abstraction de l’entièreté de vos idées préconçues sur l’adoption et sur les personnes qui ont des origines différentes des vôtres.

S’il vous plaît, si je vous dis que je ne veux pas en parler ou que ce ne sont pas vos affaires, n’insistez pas et passez à un autre appel.

Choisissez de vous exprimer avec les termes adéquats. Si je vous corrige, ne rétorquez pas « mais tu comprends ce que je voulais dire » ou « ne sois pas susceptible ».

Ne me dites pas comment penser ni quoi faire.

Gardez en tête que je suis bien plus qu’un enfant adopté ou un·e Asiatique.

Bref,

L'adoption

An Meilodi Paquet

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