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LETTRE OUVERTE
9 octobre 2020

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C’est la fraîcheur de l’eau sur la nuque un jour de canicule. L’océan qui éclabousse, enlace, puis emprisonne; l’océan, si attirant, qui fait peur et qui fascine. Non. C’est la chaleur d’une brise d’été au mois de mai. L’air, partout, mais invisible la plupart du temps. Ce sont ces courants d’air que la société respire pour rester en vie, puis qu’elle expire, se débarrassant presque désespérément de ce qu’elle a si avidement consommé. J’ai entendu une fois quelqu’un dire que l’air, c’est à la fois ce qui nous lie tous et ce qui nous sépare inexorablement. Je n’aurais pas pu mieux dire. C’est ce contre quoi se dressent tous ces barrages que tant de personnes passent leur vie à construire. C’est également l’air que la plupart des gens respirent, sans jamais se demander si cette chose qui les rend vivant ne les tue pas aussi à petit feu. Ce sont les maux de notre société, les problèmes qui nous parasitent tous les jours, ceux que nous combattons et ceux que nous oublions.

Aujourd’hui, je veux écrire sur chacun de ces problèmes qui font suffoquer le monde. Par-dessus tout, je veux écrire à propos de tous ceux que je ne vois pas, tous ces conflits et toutes ces injustices dont je ne connais pas l’existence, ma vision voilée par mes privilèges. C’est surtout eux que je veux écrire. Pourquoi ne discutons-nous pas de cette ombre qui recouvre ces abus dont nous ne parlons jamais et qui, chaque jour, gagne plus de terrain ? Pourquoi ne voyons-nous pas que d’une brise rafraîchissante se créent nos ouragans ?

Je veux écrire sur tout ce que je suis incapable de voir. Je veux écrire sur cette cruauté qui étrangle notre monde, mais qui ne fait que m’effleurer, sur tous ces problèmes que j’ai l’impression de voir apparaître alors que ça fait déjà si longtemps qu’ils existent. Je veux laisser la place à toutes ces dystopies que je regarde pour me divertir à la télévision, me confortant dans l’idée que le monde est bien meilleur que cela alors qu’elles sont le quotidien de tellement de gens. Je veux écraser le sentiment de réaliser que le monde n’est pas un conte de fée alors qu’il en est bel et bien un, mais seulement pour une minorité. Je veux laisser toute la place à cette douleur dont je ne connais pas l’existence, mais qui m’a pourtant donné tous mes privilèges. Je veux écrire sur le vent que je ne sens pas. Je veux écrire sur cette brutalités que je connais, celle que je crois connaître, celle que je vais découvrir et celle que je ne verrai jamais. Aujourd’hui, je veux écrire sur rien.

Ce rien, c’est mon silence. Mon rien, il donne l’espace à tout ce qui est hurlé, mais jamais entendu. Mon rien, c’est l’absence de tous ces mots pré-mâchés et répétés qui ne veulent plus rien dire. Mon rien, il fait entendre ce qui devrait être écouté. Il laisse la place à tout ce qui se passe dans le silence et que personne n’écoute, tous ces cris désespérés, ces réflexions pensées et repensées, ces scénarios d’un monde meilleur . Mon silence, je le donne à tous ceux qu’on a réduit au silence. Leur silence, il n’est pas vide. Leur silence, il est opaque et il est tellement rempli qu’il parle plus que tout ce qu’on ne pourra jamais dire. Leur silence, il est vivant de tous ces humains oubliés. Leur silence, il n’a jamais été silencieux. Leur silence, c’est celui qui nous a vu venir au monde et qui nous regardera le quitter.

Je veux écouter ce silence avant qu’il ne se transforme vraiment en vide, avant qu’on ait réussi à vraiment le tuer. Je veux offrir mon silence vide à toute cette poésie débordante qu’on met toujours en sourdine.

Aujourd’hui, j’écris sur rien parce qu’il y aura toujours quelque chose à écrire.

L'air entre nous

Énora Fortin-Fabbro

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