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OPINION
17 avril 2021

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           Peu à peu, la courbe du progrès humain nous distance d’un état initial de soumission totale aux forces de la nature. Cependant, il est encore quelques ressentis charnels qui abêtissent la mémoire. Mais, souvent au malheur général, d’autres non. Nos réactions sont le prolongement de cet ordre sensible des pressions qu’exerce la nature sur nos vies. C’est toute la tragédie de l’erreur hiérarchique. 

       J’entends par pression naturelle toute contrainte matérielle sur l’esprit individuel. Tout ce qui restreint sa liberté infinie à une enveloppe cellulaire très limitée. Toute douleur ressentie — ou que nous devrions ressentir.  

                Comme j’ai été généralement épargné par la maladie, mon expérience avec l’appendicite me servira d’exemple de force première. — Ici, c’est surtout le ressenti qui est premier, puisque, selon moi, la nature discerne partout une pression égale. Puis, comme c’est le ressenti qui m’intéresse, il n’y a pas de raison de se pencher sur les causes plus précises de la maladie. En effet, il semble que deux maux différents mais équivalents devraient susciter la même réaction sensorielle. Si ce n’est pas le cas, j’aurai raison. — Le mal de ventre insupportable est le symptôme caractéristique de l’infection de l’appendice. C’est exactement ce qui me fit aller à l’urgence il y a quelques années. Aussi, puisque c’est une maladie commune et bénigne, lorsque traitée rapidement, tout le monde sait ne pas attendre qu’elle devienne dangereuse. Et c’est généralement le cas pour la maladie, notre ressenti se rapproche de la pression naturelle et nous pousse à la réaction. Sinon, quelque conscience des conséquences de l’inaction nous permet de rationaliser la réaction. Finalement, l’appendicite reste très majoritairement bénigne. 

         Mais dès que la maladie atteint l’autre, notre réaction est complètement différente. La pandémie me servira d’exemple de force deuxième. Bien sûr, à moins d’être soi-même atteint par la maladie, il est difficile de ressentir la douleur associée à cette pression naturelle. Cependant, les conséquences sociales sont bien tangibles, surtout dans la plus petite commune : la famille. Mais nous ne ressentons pas cette douleur au même degré que celle de l’appendicite. Ainsi, notre réaction est dissociée de la pression naturelle qui, nous l’avons dit, est exercée également partout. Pourtant, si nous allons à l’urgence, c’est qu’instinctivement nous croyons que notre vie vaut la peine d’être prolongée et par extension, l’humanité. Pourquoi ne pas réagir de la même façon lorsque la maladie menace plus ou moins l’humanité que lorsqu’elle menace plus ou moins la vie ? Puisque la réaction naturelle face à la pandémie se rationalise aussi bien que la première et puisqu’il est possible de ressentir une certaine douleur rapprochée, quoique moindre, notre réaction devrait se rapprocher de la pression naturelle. Ce n’est pas ce qui arrive. 

             Quant aux changements climatiques, comment imaginer atteindre le seuil de douleur nécessaire à la réaction avant qu’il ne soit trop tard ? Ce qui serait qualifiable de force troisième, dont les effets sont plutôt intangibles — pour certaines régions du monde seulement —, est d’autant plus inquiétant. Selon notre logique, notre pathétique inaction serait le produit d’une douleur ressentie trop faible pour y pousser. Puisqu’il est tout aussi possible de réagir au problème rationnellement, il semble que notre réaction aux pressions de la nature n’est pas motivée par la raison. Ainsi, il reste à espérer que nous commencerons à ressentir la douleur en accord avec les pressions naturelles d’ici peu, car il le faut. Si la nature applique également sa force sur tout en permanence, nous ne devrions jamais être très confortables…  

Le poids de la nature

Micha Globensky

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