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TEXTE D'OPINION | 6 avril 2020

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Moi, un moi conscient, un moi avec une expérience, un moi qui s’est renseigné et un moi qui a écouté les autres parler avant de former mon opinion, je suis tannée.

Je suis tannée de devoir chercher sur les sites gouvernementaux quand je visite un pays pour savoir comment agir en tant que femme, comment m’habiller, quels regards donner à qui, quelles rues éviter, quels taxis prendre.

Je suis tannée de trouver après ces recherches des « Guide pour la femme voyageant seule en Colombie » qui font 25 pages et de me faire avertir par les membres de ma famille que je serais ben mieux d’être accompagnée par un ou plusieurs gars, tannée d’annuler des voyages à cause de ça, tannée de ne pas pouvoir porter de shorts en Inde, tannée que des bénévoles et des stagiaires mâles pour des organisations humanitaires glissent les mains sous les chandails de mes amies en voyage parce que ben, je sais pas, ça leur tentait, tannée que ces mêmes gars essayent d’obtenir un visa canadien en manipulant psychologiquement ces filles-là, tannée des mariages arrangés, qui sont considérés comme corrects parce qu’ « anyways en occident 52% des couples mariés divorcent ».

Je suis tannée d’avoir peur de me promener seule dans la rue le soir ou dans les quartiers plus dangereux parce que je suis une femme et que je fais une cible facile, tannée de pas pouvoir faire confiance aux inconnus, tannée des vieux monsieurs qui cherchent leur chien autour des écoles primaires, tannée des flasheurs de pénis dans les ruelles derrière le métro, tannée du GHB, tannée des tueurs qui ont le droit de voir des prostituées pour répondre à un « besoin naturel », tannée de la traite humaine, tannée des lieux comme la Thaïlande où des gens vont juste pour « fourrer » avec des esclaves sexuels, tannée de voir que ça procure un sentiment de supériorité d’abuser de quelqu’un et tannée que la société ne fasse rien d’autre qu’entretenir les gens dans leur recherche de ce sentiment de supériorité-là.

Je suis tannée qu’on refuse de revisiter les structures sociales, les agents de socialisation, les films, les revues, les cours, les publicités, TOUT, juste parce que si c’est comme ça, ça changera jamais!

Je suis tannée d’être sous-représentée en politique et en science, tannée de voir des patrons abuser de leurs employées, tannée que des femmes se fassent dire qu’elles ont sûrement « juste eu le poste parce qu’elles sont cutes », tannée que l’entièreté de mon être passe après mon apparence pour ceux que je rencontre, tannée de devoir me botter le cul à l’école pour pouvoir avoir la même chance que mes homologues masculins de réussir dans la vie, tannée des jugements, tannée de savoir qu’une femme gagnait 4,13$ de moins par heure en moyenne qu’un homme en 2018 (StatCan said it so y’all can eat my shit) et tannée malgré tout de me faire dire que « Bah le féministe a plus vraiment sa place en 2020, non? »

Je suis tannée de me faire faire des commentaires dégradants par des amis et des connaissances de sexe masculin, tannée de pas pouvoir avoir le même statut que deux “bros” parce que j’ai une plotte, tannée d’être considérée comme une “hoe”, comme une “styfe”, comme une “gow”, tannée que tout le monde juge sur les apparences, tannée de voir que “non” veut dire oui pour certains, tannée que le non-verbal ne soit pas pris au sérieux, tannée de voir des gens tellement focus sur leur propre nombril qu’ils n’ont que faire de ce que quelqu’un d’autre peut vivre sous leurs yeux.

Je suis tannée d’entendre des histoires de viol, de violence conjugale, de manipulation et de chantage émotif, tannée que des mouvements comme le #MeToo suscitent des débats, tannée qu’on laisse des présidents dire « Grab them by the pussy », tannée de savoir que des beaux-pères abusent de leurs belles-filles, tannée de vivre dans un monde où le mot “pute” est une insulte, où perdre sa virginité à 15 ans est un exploit digne du plus masculin des hommes mais un tabou pour la femme, tannée de pas pouvoir dire que je me masturbe, tannée d’assister à des réflexions dégradantes de mes congénères masculins sur leurs porn stars préférées.

Je suis tannée de pas savoir quoi penser du travail du sexe, parce qu’une partie de moi voudrait que ça n’existe pas du tout et qu’une autre partie de moi tente de respecter et de comprendre les décisions d’autrui. Je suis tannée de ne pas savoir ce que les autres filles vivent parce que c’est trop dur psychologiquement pour qu’elles en parlent à la légère.

Je suis tannée d’être mal dans ma peau, tannée de voir des amies qui se détestent parce qu’elles n’ont pas le corps parfait de magazine et qu’elles ont peur de ne pas avoir la job qu’elles veulent à cause de ça, tannée de voir des filles qui l’ont le corps de rêve, mais qui en veulent toujours plus, tannée de la grossophobie, tannée des eating disorders, tannée du surentraînement, tannée que ce corps parfait-là serve juste à vendre, tannée que mon enveloppe corporelle soit tout ce qui existe aux yeux des autres.

Je suis tannée que mes seins soient sexuels parce que l’autre sexe est responsable de déterminer ma sexualité, je suis tannée de devoir débattre avec des gars sur ce que je vis, tannée de pas trouver des alliés et tannée de vivre des émotions fortes à cause de tout ça, tannée qu’une femme qui allaite soit regardée de haut, tannée d’entendre des kids dire «ark» quand on parle de sexualité : à la place d’attendre qu’ils aient 12 ans pour commencer à leur enseigner une sexualité saine, on pourrait pas commencer plus tôt? Que dire des cours d’école, où les petits gars commencent dès le plus jeune âge à s’écrier «ark des filles» et à les rejeter de leurs jeux? Sorry, j’en ai plein mon cass’, pour quoter Émile.

Je suis tannée du fait qu’on passe notre adolescence à comparer sa taille de brassière avec les autres pour se conforter, tannée de réaliser que ma présence même est un déclencheur sexuel, tannée de cacher mes épaules, mais également tannée de savoir que je ne fais que contribuer à ma propre sexualisation dans mes vaines tentatives de m’en émanciper, tannée du culte de l’apparence physique, tannée des rôles sociaux, des standards et des doubles standards.

Je suis tannée de débattre sur tout ce qui est plus haut. Tannée de me faire répéter que toutes les opinions se valent. Tannée de pas pouvoir me confier. Tannée de devoir me «farmer la yeule», pis arrêter de déranger.

Je suis tannée.

Sais-tu quoi? Je suis tannée que MA sexualité soit l’affaire de tous et tannée que mes expériences ne soient pas considérées comme un bagage assez gros pour être entendues et écoutées.

Je suis juste tannée.

Lettre ouverte sur le traitement des femmes dans dans la société

Adèle Magnan

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