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LETTRE OUVERTE
7 mai 2020

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C’est arrivé il y a déjà un certain temps. Mon réveil a sonné, mais le rêve que j’avais fait ne s’est pas immédiatement estompé. Quand on allume une allumette, la flamme qui s’en dégage est minime lorsqu’on la compare à son plein potentiel, à son pouvoir de déclencher des incendies. Ce matin-là, ça a été pareil : l’étincelle qu’avait produit mon sommeil s’est transformée en brasier, occupant l’entièreté de mon esprit.

Cette nuit-là, j’ai rêvé à un monde dans lequel l’éducation était plus qu’une compétition inégale. L’important n'était pas d’avoir la meilleure note possible, mais de comprendre ce qui était écrit au tableau. Les élèves n’étaient pas dès le primaire condensés en un nombre, comparés à une moyenne de groupe et classés, de la plus haute note à la plus basse. Ce qui comptait était d’avoir compris, d’avoir fait des efforts pour s’améliorer. Les enseignants ne félicitaient pas seulement ceux qui étaient nés avec un cerveau capable d’enregistrer la moindre parole prononcée et tout comprendre en un claquement de doigts. Les enfants étaient bien plus que des ordinateurs qui devaient apprendre un programme identique, même si certains d’entre eux avaient été conçus plus rapides que d’autres. Au lieu de tous se faire enseigner de la même manière et à la même vitesse, l’enseignement était adapté à chacun. Dans ce monde-là, il importait peu que certains aillent fini un cours en comprenant 110% de ce qu’on leur avait enseigné et qu’un autre aille, avec difficulté, réussi à en comprendre 60%.

J’ai rêvé qu’on admirait la qualité de l’enseignement plutôt que l’efficacité des professeurs. On n’encourageait pas l'éphémère rétention d’informations, mais la qualité de l’apprentissage. On félicitait quelqu’un d’avoir réellement compris au lieu d’encourager un élève parce qu’il est capable de retenir une grande quantité d’informations en quelques jours, sachant très bien que tout serait oublié le lendemain.

J’ai rêvé à un monde dans lequel nous étions évalués selon nos capacités au lieu d’être comparés aux autres qui sont pourtant si différents de nous. Nous apprenions tellement de choses, mais pas comment obtenir la meilleure note aux évaluations. Jamais on ne nous aurait dit de défendre le parti qui possède le plus d’arguments dans un débat pour amasser le plus de points possibles, mais plutôt de réfléchir à pourquoi cette thèse mériterait d’être défendue. Nous comprenions les enjeux au lieu d’analyser quelle était la meilleure manière d’obtenir une note élevée.

J’ai rêvé à un monde qui reconnaissait la valeur de ceux qui sont incapables de se conformer à notre système scolaire. Enfin, les musiciens, les artistes, les autodidactes et tout ceux qui sont talentueux dans des domaines qui ne sont pas enseignés à l’école étaient appréciés à leur juste valeur. Une personne n’était pas seulement estimée si elle était née avec la science dans le sang.

J’ai rêvé à un monde dans lequel les élèves avaient envie d’apprendre. Mon livre d’histoire était plus qu’un manuel rempli de dates à apprendre par cœur, il était rempli d’apprentissages venant des erreurs des hommes, ainsi que de leurs réussites. C’était un moment pour survoler bien plus que des guerres, mais aussi des enjeux éthiques et moraux. Un instant qui nous permettait de comprendre l’Homme et ses aspirations qui l’ont suivi à travers le temps.

J’ai rêvé à un monde dans lequel l’école était un lieu de coopération. C’était un endroit dans lequel on pouvait apprendre à travailler avec les autres et s’entraider au lieu de se séparer le travail. Le travail d’équipe était valorisé, à l’instar du climat de compétition auquel nous avons été habitués.

En me réveillant, j’ai réfléchi et je suis d’accord qu’à un certain point, il faut classer les gens selon leur aptitudes. Moi aussi je préfère être opérée par un chirurgien qui était dans les premiers de sa classe au Cégep dans son cours de biologie. Moi aussi je préfère le génie des sciences comme médecin à la place d’un autre étudiant qui a fourni beaucoup plus d’efforts, mais qui a tout de même terminé avec un résultat de 62%. Toutefois, la compétition n’est pas nécessaire dès l’âge de cinq ans.

J’ai rêvé à un monde dans lequel les gens avaient choisi d’entrer dans la compétition, qu’elle ne leur avait pas été imposée à l’âge de cinq ans. La minorité qui souhaitait entrer dans un programme contingenté avait été la seule à être classée ou que le classement n’avait commencé que plus tard, au moment où ça compte réellement. Après tout, la fameuse cote R ne fait son apparition qu’au Cégep. Cela n’impliquerait-il pas que sa vocation de réduire les inégalités entre les étudiants causées par la diversité d’enseignants et de conditions n’est utile et nécessaire que pour l’éducation post-secondaire ?

J’ai rêvé à un monde dans lequel nous n’étions pas seulement complimentés pour avoir suivi les consignes. Nous avions appris à réfléchir depuis le début de notre scolarité. Au lieu d’encourager à ne pas dépasser les lignes des règles établies par nos enseignants, nous avions été félicités pour avoir été créatifs et avoir réfléchi réellement à notre manière au lieu de se faire programmer un mode de pensée. On avait appris à être autonome au lieu de se faire dire quoi faire, quand et pendant combien de temps. Le système scolaire n’était pas construit pour former des ouvriers, mais plutôt pour offrir des connaissances à des êtres humains, dans toute leur diversité et complexité.

Au final, mon rêve n’importe peu, ce n’est pas ce qui compte. L’important, c’est que je crois à un monde dans lequel on serait bien plus qu’un numéro. Je crois à un système qui valorise plus que la loterie des gènes. Je crois encore à l’école, mais surtout, je crois à ce qu’elle devrait être.

Nous sommes plus que des numéros

Énora Fortin-Fabbro

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