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OPINION
16 mai 2020

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Depuis quelques semaines déjà, on entend notre premier ministre encourager l’achat local. Lors de sa conférence du 24 avril, il déclarait « qu’il faut davantage produire au Québec avec nos entreprises puis nos travailleurs québécois. » Pour le secteur agricole, et surtout les défenseurs de la souveraineté alimentaire comme Jean-Martin Fortier, le Québec « en pause » est l’occasion rêvée de mettre de l’avant des pratiques plus responsables et saines. Cependant, avant de parler de solutions, il est important d’aborder les problèmes soulevés par nos pratiques alimentaires actuelles.

Patrick Mundler, un professeur titulaire à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, en a fait un article du Devoir que je vous recommande de lire. Ici, l’abus de la périphrase me permet de le résumer. Il y tire quatre « enseignements ». Le premier, le Québec ne manque pas de terres agricoles. En effet, deux millions d’hectares du territoire québécois sont consacrés à l’agriculture, ce qui représente presque 0,25 hectare par habitant. En comparaison, la moyenne mondiale est de 0,19 hectare par habitant. Le deuxième, avec une production de plus de 12 milliards de kilocalories et une consommation annuelle québécoise d’environ 6,5 milliards de kilocalories, nous produisons amplement. Cependant, environ la moitié de nos terres agricoles est dédiée à la production de céréales et d’oléagineux, comme le maïs et le soya. La majorité du 73% que représente la production de ces deux aliments sert à l’alimentation animale ou à la fabrique d’éthanol. Ainsi, le troisième, notre production sert à nourrir les animaux et les véhicules. Si nous finissons par manger ces animaux, une bonne partie de l’énergie est tout de même gaspillée dans le transfert. Toutefois, notre production de porc, quatre fois plus importante que la demande interne, semble indiquer autrement : nous ne les mangeons pas. Comme d’autres, elle est basée sur l’exportation et les calories qu’elle produit ne finissent même pas dans nos assiettes. D’un autre côté, nous produisons moins de 10% de notre consommation en céréales et en légumineuses. Le quatrième constat, et le plus choquant, l’agriculture québécoise n’est pas organisée pour nourrir sa population.

La crise mondiale actuelle soulève de nouveaux défis pour les milieux agricoles du Québec, que la province ne semble pas prête à faire face. En effet, la simple fermeture des frontières canadiennes soulève des enjeux majeurs tant pour le personnel agricole que pour le public. Elle nous montre notre dépendance aux importations en provenance des États-Unis. Lors de leur apparition à Tout le monde en parle le 26 avril, Jean-Martin Fortier et Marcel Groleau s’entendaient sur le propos. Le premier, directeur de la Ferme des Quatre-Temps, affirmait que 40% de nos fruits et légumes en proviennent. Le deuxième, président de l’Union des producteurs agricoles, affirmait que l’autonomie alimentaire québécoise actuelle est d’environ 57%. C’est-à-dire que 57% de ce que nous consommons est produit ici ou transformé ici. De plus, la fermeture des frontières empêche l’arrivée de main-d’œuvre étrangère dont dépendent les fermes québécoises. Le personnel maraîcher se tourne alors vers la population et le corps étudiant pour travailler aux champs cet été. Malgré la forte réponse, les conditions de travail peu attrayantes et les primes gouvernementales nouvellement instaurées en découragent plusieurs. Patrick Mundler et Jean-Martin Fortier proposent la souveraineté alimentaire comme solution.

Ce concept est présenté pour la première fois lors du Sommet de l’alimentation de 1996 à Rome, événement de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, par le mouvement Via Campesina. C’est « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires. » C’est le mouvement qu’a adopté Jean-Martin Fortier et qu’il prône. Dans une vidéo qu’il a publiée après son passage à l’émission, il fait l’éloge d’une agriculture nouvelle, décentralisée, dans de petites fermes partout au Québec, qui pourrait approvisionner les communautés en produits plus frais. Cependant, hiver oblige, il est difficile d’y faire pousser des bananes en janvier comme le souligne Guy A. Lepage. C’est pourquoi le respect de la saisonnalité des fruits et légumes est le principe le plus important pour l’agriculteur. Les grands chefs québécois respectent déjà ce principe de cuisine saisonnière, puisque « c’est ce qui fait le délice [de leurs plats]. » Les avantages des petites fermes ? Moins de transport, une production adaptée à la communauté, plus fraîche et diversifiée. De plus, en ce moment, elles sont beaucoup moins touchées par la crise. En effet, l’agriculture « à l’échelle humaine » qu’elles proposent attire plus le peuple québécois à venir travailler selon lui. Le travail est plus intéressant, moins machinal, long et répétitif.

L’accès à la main-d’œuvre est un obstacle important pour l’agriculture au Québec. Comme l’écrit Patrick Mundler : « Contrairement aux fabricants de textiles ou de masques chirurgicaux, qui ont pu aller construire des usines dans les pays où la main-d’œuvre est moins chère, les terres agricoles ne sont pas délocalisables. Ce ne sont donc pas les usines qui vont à la main-d’œuvre, mais la main-d’œuvre qui vient à nous. » C’est en grande partie pourquoi les produits locaux peinent à compétitionner avec les produits en provenance des marchés internationaux. À l’émission, Marcel Groleau compare notre situation avec celle des Américain·e·s et des Européen·ne·s. Ceux-ci ont accès respectivement à de la main-d’œuvre en provenance du Mexique et des pays de l’Europe de l’Est, parfois illégale. C’est une situation difficile pour le personnel agricole québécois qui ont des normes différentes, plus strictes. Leur accès à ces marchés internationaux permet aux grandes chaînes de distribution alimentaire d’être si compétitives. Aujourd’hui, 60 à 70 % de l’assiette québécoise provient de ces distributeurs.

Il semble donc impératif d’instaurer des mesures gouvernementales pour favoriser la production dans les petites fermes au Québec. Par exemple, favoriser l’étiquetage et le positionnement des produits québécois dans les grandes chaînes de distribution et offrir des subventions pour les jeunes qui démarrent et qui manquent d’accès aux terres et de capitaux. Surtout, des tarifs préférentiels pour l’accès à l’hydroélectricité permettraient aux plus petits de produire plus tôt en saison et potentiellement de produire quelques produits à l’année, dans des serres chauffées. Selon monsieur Groleau, ces réductions en coûts motiveraient la construction de serres, puisque « c’est le coût le plus important pour opérer ici au Québec. » Ces baisses, semblables à celles offertes dans le secteur de l’aluminium, permettraient aux entreprises de se développer ici et potentiellement même d’offrir leurs produits à l’Ontario et aux provinces des Maritimes. De plus, l’offre de programmes et d’aide aux petites fermes permettrait à ces dernières de se professionnaliser et de devenir plus efficaces selon Jean-Martin Fortier. Toutefois, il est très important pour lui de fixer les balises de cette agriculture. Sans quoi, nous nous retrouverons avec des solutions « technos crades d’ingénieurs » et des « mégafermes » qui approvisionneront tout le Québec « dans des entrepôts où il n’y a pas de lumière du jour. »

Il termine en lançant le défi aux familles de se faire un potager cet été et je le relance au corps étudiant et aux membres du personnel du cégep. Bonne façon de renouer avec la nature et d’avoir un impact positif sur votre économie familiale, jardiner cet été pourrait faire naître chez vous une nouvelle passion. Qui sait ? Surtout, il faut considérer ces enjeux qui nous touchent tous et tendre vers une autonomie alimentaire qui favoriserait notre sécurité alimentaire et notre indépendance.

Poussent, poussent, poussent les souverains légumes

Micha Globensky

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