
LETTRE OUVERTE
15 septembre 2020

Mise en garde, avant-propos, abri moral personnel
J’ai peine à commencer un texte qui me dépasse, qui se dépasse. J’écris un peu comme un kayakiste commence à penser à peut-être penser à commencer une traversée océanique avec une cuillère. Soyez patient s’il vous plaît, nous commencerons peut-être à fixer notre embarcation à la fin de cette réflexion. Réflexion, c’est pédant. Ce n’est qu’un maigre rappel d’une valeur qui donne la nausée aux élèves du primaire. Nous sommes trop complexes et je suis trop petit, dans un sous-sol, à rebrasser des théories que je suis loin de maîtriser, à nous faire confiance en commençant par moi. Cependant, du haut de mes dix-huit années d’inexpérience, j’ai la prétention de voir en mon article et dans le travail de ceux qui se consacrent réellement aux domaines abordés, le flocon qui déclenche l’avalanche ou, pour les nostalgiques de l’été finissant, le grain de sable qui fait s’effondrer la dune. Voici un autre article de journal étudiant trop lourd, prétentieux et tellement vague dans la vastitude d’un sujet trop complexe qu’il perd toute crédibilité.
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Le monde va mal. Une affirmation tellement vidée de sens qu’elle suscite plus de roulements d'yeux que d’empathie. C’est bien normal, comment être pris au sérieux en écrivant des phrases pareilles. Je ne veux simplement pas faire d’énumération. Au risque de laisser vos cordes sensibles inertes, c’est plus facile d’affirmer ces choses de façon enfantine que d’essayer de les prouver par les exemples. Si je ne voulais pas généraliser, je dirais que j’ai mal. Mal en regardant les nouvelles. Mal en pensant à un futur sans neige. Mal en délaissant tellement d’artistes de chez moi que j’admirais. Encore plus mal pour les victimes. Mal en mangeant le morceau de jambon pré-cuit-pré-coupé du Costco en pensant au sort indigne de la bête sacrifiée à la naissance. L’énumération, ça fait ressortir l’absence de solutions. Et puis, avant de chercher les solutions, il faut poser le problème. Ce n’est pas chose faite non plus. Il est plutôt consenti que l’être humain est à la source de ses problèmes. Pour moi, c’est moins notre nature que notre façon d’interagir avec notre environnement qui en est la cause. Notre nature n’est pas viciée, elle est simplement mal utilisée. Et si un simple changement d’attitude, un nouveau regard, pouvait nous aider à parvenir à nos fins ? Un respect universel, résultat de nos capacités empathiques.
Partons du domaine de l’environnement et des enjeux qui menacent sa vitalité. Et si nous considérions la totalité de notre environnement avec respect ? Si le caillou dans le stationnement du Cégep méritait sa place ? C’est une idée qui peut paraître exagérée, j’en conviens, mais c’est tout de même l’idée de mon amas de pensées coulantes (on m’a dit de ne pas utiliser l'appellation « article »). Dans les années 1970, Arne Næss développe un courant de pensée en rupture avec l’anthropocentrisme classique des modèles écologiques précédents qu’il nomme l’écologie profonde. Quoique controversées, ses idées rejoignent celles qui m’intéressent. L’être humain doit repenser sa place dans le tout que forme la vie terrestre. Il est tenu de rejeter la hiérarchisation de la vie et reconnaître la valeur intrinsèque de chaque être vivant. Cette conception biocentrique humilie forcément l’humain et reporte au second plan ses intérêts égoïstes. Sans faire disparaître la crise environnementale, l’empathie et l’humilité qui découlent de cette attention particulière pour le vivant semblent être de bons points de départ pour mettre en œuvre le changement.
Rapprochons-nous. Qu’en est-il de l’humain envers son prochain ? Il est possible de s’expliquer partiellement les désastres environnementaux et les choix de ceux qui les ont perpétués. Il est aussi possible de s’expliquer partiellement les raisons qui nous poussent à bâtir des industries de vie animale destinée à la consommation. Comment toutefois tenter d’expliquer les violences que s’infligent nos contemporains sans un profond haut-le-cœur ? Comment lire les témoignages de victimes de violence à caractère sexuel sans avoir froid dans le dos ? Comment lire les témoignages de brutalité policière sans se dégoûter des atrocités dont nous sommes capables ? Mais si le caillou du stationnement méritait notre respect et notre empathie, ce respect s’étendrait nécessairement sur les personnes avec qui nous coexistons. N’est-ce pas ? C’est le pari que j’aimerais faire. Le dernier espoir moral sous mon découragement.
Pourtant, le problème n’est toujours pas bien posé. Non seulement est-elle à sa source, notre individualité le complique énormément. Nous ne sommes pas poissons-rouges, répétitifs, prévisibles, homogènes. Nous agissons individuellement avant d’agir en espèce. Beau problème lorsque vient le temps de convertir les esprits.
Quand on se tombe sur les nerfs depuis la première ligne et qu’on ne sait plus quoi dire, on arrête. Non ?
Rayon sous la dense canopée
Micha Globensky