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NOUVELLE
18 septembre 2020

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On s’est rencontrées pour la première fois sur Cartier, avec les gros lampadaires colorés, juste en face du Starbucks, là où il y a toujours du monde. C’était un jour d’été assez chaud, étouffant, torride, un jour d’été qui fait chialer comme jamais, qui fait dire (avec un tant soit peu d’exagération) des phrases telles que : « Je prendrais une journée d’hiver aujourd’hui, me semble! »

On s’est mises à se parler comme si de rien n’était, comme si l’on avait voulu « skipper » les présentations, comme si notre amitié avait éclot en une capucine, un dahlia, un tournesol, ou tout autre type de plante annuelle dont la floraison aurait été bien trop hâtive. Pis le problème avec les fleurs qui poussent trop vite, c’est que l’hiver vient bien plus vite pour elles.

Je me souviens. Je me souviens que dès notre premier échange, ça avait été clair, net, précis, évident, transparent, certain : j’allais t’adorer, j’allais te coller, j’allais t’idolâtrer, mais tu allais me faire mal, et pas juste un peu. On allait partager l’une de ces amitiés, l’une de ces amitiés trop intenses pour qu’elle ne résiste au temps, l’une de ces amitiés toujours trop ci, toujours trop ça, et, à l’époque, c’était correct pour moi. C’était correct, parce que je savais que ça allait être beau, que ça allait être magnifique, que ça allait être profond, que ça allait être l’une de ces relations à lancer des artifices dans le ciel, et pas juste ces petits pétards qu’on achète au dépanneur du coin. Non, non, ça allait lancer des vrais de vrais artifices, dignes de Loto-Québec. Des rouges, des dorés, des argents et des bleus par-dessus le marché. Ça allait péter fort, briller intensément, exploser partout dans le firmament, mais ça allait assurément être éphémère.

Vous voyez, elle était l’une de ces femmes avec un grand « F », l’une de ces femmes que l’on admire et ce, de façon tout à fait saine. Elle n’était aucunement cette femme, celle qui nous donne envie de la faire taire, celle qui nous fait souffrir jusqu’en dedans, « drette » dans le bas du ventre. Non, elle ne rendait pas les autres jaloux ou envieux, bien au contraire. Elle inspirait plutôt éblouissement, amour, adoration. Elle était cette personne, cette personne qui donne l’impression d’être elle-même complètement, cette personne qui semble déjà sage, mature, « Une vieille âme! », dirait ma grand-mère, mais tellement libre, insouciante, jeune. Elle était ce type de femme qui voit la vie telle qu’elle est, qui vogue « naturellement » et avec « élégance » entre joies et malheurs, qui te sort à tout bout de champ des phrases telles que (excusez l’anglicisme) : « Just go with the flow. »

« Just go with the flow. » Tu parles d’une expression. « Suis le courant. » Mais qu’est-ce que ça veut dire? De quel courant parle-t-elle? Celui de la vie? Probablement. Si c’est le cas, est-ce réellement possible? Est-il vraiment concevable d’accepter tout ce que l’on croise en chemin, d’accepter tout ce qui peut nous arriver, de simplement vivre avec? Encore aujourd’hui, en me posant toutes ces questions, je l’imagine me répéter la fameuse phrase une deuxième fois, puis une troisième si je ne m’arrête pas. Bref, j’en viens à la conclusion que moi, je n’en suis pas capable. Elle, au contraire, savait vivre sa vie tel un « droit chemin ». C’était comme si elle était constamment apte à prendre tous les raccourcis, sans faire de détour, comme si elle était capable de prendre son vélo et de se rendre dans le Vieux sans monter et descendre, monter et descendre, monter et descendre...

Je me rappelle encore cette fois-là, cette fois-là en particulier, une fois où tu comprends tout, une fois où tout devient plus clair, plus net, plus précis, plus évident, plus transparent, plus certain. On était assises sur le bord d’un trottoir, juste en face d’un feu de circulation. Ne me demande pas pourquoi, mais on était obnubilées par le changement de couleur. Rouge, vert, jaune (ou orange diraient certains). Rouge, vert, jaune. Rouge, vert, jaune. Elle disait : « Rouge comme la colère, vert comme le printemps pis jaune comme le soleil. » Bon, je l’avoue, on n’était peut-être pas complètement sobres, mais rien n’excuse le fait qu’à bien y penser, c’était un peu comme ça notre amitié. C’était frustrant, c’était tout nouveau, tout beau, c’était comme si elle renaissait à chaque fois qu’on se voyait et c’était plus que chaleureux, c’était brûlant. Ça nous cramait de tout partout. Elle était mon soleil, mon étoile, et je l’étais probablement pour elle aussi.

Je ne l’ai jamais revue après. C’était peut-être parce qu’on travaillait trop, parce qu’on n’avait pas le temps, parce qu’on s’embarquait dans des mégas gigas projets qui nous occupaient toute la journée, parce qu’on avait besoin d’être seules, parce qu’on était en plein déménagement, ou pas. Tout ce que je sais, c’est que bien que notre amitié ait donné la plus belle fleur qui soit, j’aurais voulu à sa place dans la terre une pivoine, un lupin ou ne serait-ce qu’une tige lavande; j’ai toujours préféré les plantes vivaces.

Une floraison platonique

Simone Leblanc

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