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CHRONIQUE

26 octobre

Entre catholicisme et nationalisme

Récit du déclin de l’Église catholique au Québec.

Cyrille Bernier

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Ce n’est nouveau pour personne¹ : l’Église catholique a vécu un désarmement total dans les années 60 au Québec. Les chiffres sur la pratique religieuse ne mentent pas, et d'aucuns en ont besoin pour s’en rendre compte.

Bien malheureusement, jamais le ministère de l’Éducation n’a exigé un approfondissement de cette chute phénoménale du socle social québécois. Ainsi, je me lance le défi que le ministère n’a pas su relever : examiner le déclin de cette institution autrefois si centrale, aujourd’hui si marginale.

 

Du point de vue du XXIe siècle, nous concevons plus ou moins que cela s’est passé en 10 ans. C’est presque exact : il n’en fallut pas beaucoup plus pour que la révolution catholique du concile Vatican II se traduise en dépopularisation de la religion au Québec.

Vatican II rentre dans la catégorie des conciles œcuméniques les plus marquants pour l’histoire chrétienne. Le saint pape Jean XXIII l'a réuni entre 1962 et 1965, totalisant quatre automnes de débats portant sur l’avenir de l’Église dans un monde se modernisant à toute allure. Concrètement, l'impulsion progressiste gagnant du terrain chez les évêques, ce concile a impliqué un changement de rites autant à la messe que dans la vie communautaire, et a marqué la fin de la hiérarchie ecclésiale stricte.

De ces changements a résulté une sévère perte de repères chez les fidèles du Québec. Ne reconnaissant plus leur religion dans ses rites et dans son fonctionnement, plusieurs ont cessé de s’identifier au nouveau mouvement individualiste, moins formel, de l’Église. Un peu comme si l’amollissement de la hiérarchie catholique avait doucement éliminé le dogme, et laissé davantage la place à la spiritualité, cette humanisation ou individualisation de la vie religieuse.

Ainsi, la génération préboomers a bien senti cette poussée de l’individualisme dans l’Église. Mais ce n’est point le seul endroit où il germait.

Au plus profond du cœur québécois de l’époque, la conviction d’autonomie grandissait en force et en puissance. En fait, l’enrichissement de la classe moyenne par l’addition d’un deuxième salaire a sans aucun doute amplifié le sentiment de contrôle personnel. Les Québécois voulaient maintenant décider eux-mêmes de leur avenir, et non se le faire imposer par l’autorité religieuse.

Comme on voit des cégépiens quitter la maison familiale pour aller bâtir leurs vies ailleurs, on a vu les Québécois de la Révolution tranquille se dissocier de leur mère l’Église.

Mais ces cégépiens n’estimaient même plus leurs parents : à travers les divertissements, plus accessibles dans les années 60, ainsi que l’art, le catholicisme ne recevait plus de louanges, mais bien de vigoureuses critiques. Alors, peu à peu, l’Église perd popularité et contrôle parental.

Par exemple, lors de la sortie du pape Paul VI sur la contraception, le Québec s’affiche officiellement contre sa position², et les femmes, lassées de la morale dure et sévère martelée dans les sermons du dimanche, entreprennent « de sortir les curés de leur chambre à coucher.³ »

À ce moment bien précis, on rend compte de l’inactualité criante de l’Église au Québec.

Or un détachement aussi radical implique, en général, l’attachement à un autre groupe. Après le démantèlement de l’organisation qui unissait toute une société, on devait maintenant trouver un nouveau groupe qui allait définir l’identité collective.

« L’homme est un animal politique⁴ », disait Aristote. Eh bien, les Québécois ne dérogent pas à la règle : pour rester unis, ils ont choisi le nationalisme plutôt que le catholicisme, les débats dans les cégeps plutôt que l’écoute de la messe, l’expression de leur opinion plutôt que la soumission à la doctrine.

Le catholicisme québécois a cédé tous ses droits à l’État, qui s’est ironiquement emparé de son caractère religieux : l’État-providence! Cela s’explique notamment par l’embourbement de l’Église dans ses fonctions séculières au début du siècle, elle qui s’était davantage définie par son apport social que religieux⁵. Donc du moment où elle ne fournit plus d’enseignants, d’infirmières, et de bénévoles en nombre suffisant, on imagine comment elle semble perdre son utilité face à l’État qui lui prend la relève.

Alors, avec le gouvernement qui met sur pied une assurance-emploi, une assurance-maladie et qui effectue le financement d’organismes de charité par les crédits d’impôt, on voit la face autrefois si rayonnante de l’Église pâlir, sinon disparaître.

 

Et donc au bout de quelques décennies, le nationalisme, indépendantiste ou non, assure la succession du catholicisme dans le rôle de mère du Québec.

Mais, revirement de situation, dès 1995, on assiste à l’agonie lente et terrible du mouvement national à son tour!

L’identité québécoise ne se définit plus par son attachement au pays ni à la religion, mais diffère désormais pour chacun.

Et franchement, dans une ère où l’on ignore carrément notre identité, il serait plus sage de revenir soit au catholicisme, soit au nationalisme.

¹ Cette chronique se réfère principalement à 

Bernier, Cyrille. Le déclin de l’Église catholique au Québec, M. Alain Bouchard, sociologue des religions, Québec, 6 octobre 2021.

² Lise Payette, Claire Kirkland-Casgrain, Marc Laurendeau et Guy Lamarche, interviewés dans Le déclin de l’Église et la libération de la femme (La Révolution tranquille, 50 ans après), Radio-Canda, 14 septembre 2009.

³  Lucia Ferretti. Brève histoire de l’Église catholique au Québec (Montréal : Boréal, 1999), 166.

⁴ Aristote, La Politique.

  Lucia Ferretti. Brève histoire de l’Église catholique au Québec (Montréal : Boréal, 1999), 142-146.

Références

Jean-Pierre Proulx. « Il y a 50 ans : Vatican II – Le concile qui a bouleversé l’Église », Le Devoir, 22 décembre 2012, https://www.ledevoir.com/societe/367035/il-y-a-50-ans-vatican-ii-le-concile-qui-a-bouleverse-l-eglise

Lucia Ferretti. Brève histoire de l’Église catholique au Québec, Montréal : Boréal, 1999.

Lise Payette, Claire Kirkland-Casgrain, Marc Laurendeau et Guy Lamarche, interviewés dans Le déclin de l’Église et la libération de la femme (La Révolution tranquille, 50 ans après), Radio-Canda, 14 septembre 2009.

 

Bernier, Cyrille. Le déclin de l’Église catholique au Québec, M. Alain Bouchard, sociologue des religions, Québec, 6 octobre 2021.

 

Aristote, La Politique.

Isabelle Lacroix. « Discours de clôture du concile Vatican II », Perspective Monde, 21 octobre 2021, https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1678

Illustration

http://www.sarlat.info/decouvrir/personnages-celebres/pape-jean-22/

Correction par Émilien Côté

Mise en page par Ioan Horatiu Rau

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