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16 novembre 2020

Harmonium - Plus qu’un instant de fierté nationale 

Philippe Champoux

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Toute histoire a un début; toute histoire a une fin.

L’histoire prend pied au sein de la ville de Montréal, où le groupe de rock québécois Harmonium fut initialement rassemblé : Serge Fiori et Michel Normandeau, instrumentistes talentueux et versatiles, créèrent cet ensemble qui fut bientôt rejoint par Louis Valois. Leur accostage avait initialement pour but de créer la trame sonore d’une pièce de théâtre. Toutefois, cette pièce, censée être mise au monde par Michel, ne verra jamais le jour. C’est donc vers la pure création musicale que le groupe se dirigera.

Le premier opus offrit un défi majeur : la majorité des maisons de disque auxquelles ils présentèrent leurs démos refusèrent de les accueillir en raison de la longueur des chansons. L’emploi de la langue française ajouta du poids au boulet; Columbia, Warner et London Records les refusent également pour la commercialisation difficile de cette langue. Néanmoins, l’espoir reprit vie lorsqu’ils furent acceptés par une maison de disque ontarienne : Harmonium était alors officiellement né. Les musiciens mirent en commun leur créativité et enregistrent leur disque éponyme (Harmonium), qui embrasse un style folklorique tout en gardant des racines solides du rock progressif. Sa réception fut exceptionnelle auprès du public québécois : Pour un instant, Harmonium et Un musicien parmi tant d’autres s'affichent rapidement dans les palmarès. Ce projet qui avait été rebuté par tant de maisons de disques finira par atteindre le statut Platine avec plus de 120 000 exemplaires vendus.

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Leur second opus fut d’autant plus redoutable. Avec la collaboration de plusieurs autres artistes, le groupe évolua jusqu’à composer un chef-d’œuvre complexe décrivant autant musicalement que lyriquement Les Cinq Saisons auxquelles la ville de Montréal fait face. Si on avait besoin d’une cinquième saison nous présente un arrangement entre la tradition et la modernité par l’utilisation de l’accordéon, la cuillère, la guitare, la poésie et la flûte traversière. Le style et le génie du groupe atteignent un paroxysme : cette œuvre ne se limitera pas à marquer les oreilles des Québécois, mais ira jusqu’à traverser les frontières du monde entier, étant classée comme un des meilleurs albums progressifs de tous les temps. La création sera considérée comme l’apogée de la musique québécoise : c’est notre fierté nationale.

L’origine de ce groupe fut le théâtre; la fin de ce dernier fut semblable. La trame sonore de L’Heptade, dernier opus du groupe, nous embarque dans un voyage mélancolique semblable à celui d’une tragédie grecque. Le groupe a centré sa création autour du chiffre sept (hept-) : sept musiciens et sept chansons portant sur les sept niveaux de la sagesse. Toute cette mise en sons d’une histoire inspirante mène à un épilogue dramatique. Au sein du groupe, Michel n’était plus à sa place : les compositions avaient atteint un niveau de complexité trop élevé, ne pouvant désormais être exécutées que par un virtuose. Michel tire de la patte et se voit donc rejeté des sessions d’enregistrement.

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Leur influence au sein de leur nation fut telle qu’ils jouèrent le rôle d’ambassadeur de la culture québécoise lors d’une semaine culturelle organisée en Californie. René Lévesque, alors au pouvoir, leur ouvre la porte vers une carrière internationale en leur assignant un concert à Beckley, Californie. Néanmoins, le groupe se voit contraint en raison de l'égarement du camion transportant leur équipement. Le Parti Québécois poursuivra en justice Harmonium, les mettant ainsi dans un déficit financier. René Lévesque avait de grands espoirs en ce concert de 1978 : il était représentatif de la force culturelle québécoise, et était supposé susciter une plus grande confiance américaine en la cause nationaliste. Le groupe n’abandonnera pas sa mini-tournée, performant dans les grands centres culturels américains jusqu’à se faire offrir des sommes importantes pour financer leurs écrits. 

Toutefois, le succès n’était pas la tasse de thé du groupe, qui envisageait déjà un départ concret du monde musical. Cette tragédie québécoise prend fin avec la publication de l’enregistrement de leurs concerts, ce qui renfloua la fissure financière engendrée par les poursuites judiciaires. Leur dernière performance musicale sera offerte en Montérégie. Ce fut un concert à teneur mélancolique, annonçant la fin tragique et définitive d’une épopée créatrice, annonçant la fin d’une odyssée culturelle ayant marqué à jamais les mélomanes du Québec.

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