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OPINION

23 avril 2020

La cote R, la cote R, c’est pas une raison pour se faire mal

Adèle Magnan

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Bande dessinée de Jeanne Huard et d'Adèle Magnan

Si tu es un étudiant du Cégep, que tu es déjà passé par le Cégep ou que tu rentres bientôt au Cégep, tu as assurément déjà entendu parler de la cote R. Que l’on sache approximativement comment elle est calculée (shout out à ceux qui ont eu une explication plus ou moins éclairante de l’indice de force du groupe dans leur cours de Prob et Stats) ou non, tout le monde sait une chose de la cote R : c’est grâce à elle que son dossier universitaire va pouvoir être jugé et comparé aux autres, point barre. La situation actuelle exceptionnelle dans laquelle nous sommes tous placés (COVID-19, il va sans dire) a poussé les officiels du gouvernement à prendre une décision quant à la cote R : elle ne sera tout simplement pas calculée pour la session d’hiver 2020. Cette décision a créé plusieurs remous au sein de la communauté étudiante et certains, déçus de voir tant « d’efforts réduits à néant » ont élevé leurs voix dans une pétition visant à rétablir l’ancienne décision ministérielle, soit de faire deux calculs de la cote R, l’un incluant la session d’hiver et l’autre l’excluant, ne gardant officiellement que la meilleure des deux.

Moi, je suis contente que la cote R soit abolie. Et je pense que tu devrais l’être aussi.

D’abord, sais-tu ce qu’est la cote R? La cote R n’existe pas au Cégep depuis toujours : on parlait plutôt de cote Z avant 1995. La cote Z, en fait, était excessivement simple à calculer. On prenait la moyenne d’un cours d’un étudiant, on y soustrayait la moyenne de son groupe et on divisait ce résultat par l’écart type de ce même groupe (la moyenne des écarts entre les notes des élèves et la moyenne, si tu préfères). Ce calcul entraînait des inégalités puisqu’un étudiant dans un groupe plus fort risquait d’avoir plus de difficulté qu’un étudiant dans un groupe plus faible à se démarquer de la moyenne. La cote R, ou cote de rendement au collégial, est donc née pour pallier cette « injustice ». Son but est d’évaluer le rendement de tous les étudiants par rapport aux autres, placés dans des conditions similaires. Et la twist, elle est là.

Penser que les étudiants sont placés dans des conditions similaires, c’est déjà utopique. Notre système d’éducation québécois fonctionne à deux vitesses, et laisse-moi te dire que ces vitesses-là ressemblent à la fois à celle qu’on a sur une transnationale en Allemagne et à celle sur un petit chemin de terre dans le village beauceron où sont nés papy et mamy. Certains étudiants doivent travailler temps plein pour payer leur appart et leurs études, d’autres ont des difficultés familiales, plusieurs sont proches-aidants… les situations handicapantes sont tellement multiples qu’il serait impossible de toutes les lister. Maintenant, prends ces handicaps et multiplie-les par 10 ou même par 100, en plus de les imputer à beaucoup plus d’étudiants. C’est ça « l’effet-COVID ».

On vit tous une situation nouvelle qui demande énormément d’adaptation. Difficile d’étudier quand tous les membres de ta famille sont confinés avec toi, que le Wifi lague à cause du télétravail, que ton petit frère pète sa coche parce qu’il ne peut plus voir ses amis et qu’il trouve le temps long, que tu travailles 40 heures par semaine maintenant qu’on te considère comme un « travailleur essentiel », que tu es parent, que tu as perdu tous tes exutoires, qu’il s’agisse de sport, d’activités culturelles ou de bénévolat, que tu n’as plus accès aux services adaptés, que tu ne bénéficies plus du programme d’aide alimentaire de ton école et j’en passe (j’en passe beaucoup même, ça serait trop pénible que ma phrase dure trois pages, je ne suis pas ici pour faire la compétition à Marcel Proust). Combine cela au fait que les profs doivent s’adapter à une nouvelle méthode d’enseignement, que tu as de la difficulté à savoir où donner de la tête entre toutes les plateformes proposées et que tu n’as pas nécessairement accès aux mêmes ressources que ton voisin, ni même au même matériel que tes camarades de classe, advenant le cas où tu aies laissé des choses dans ton casier avant le confinement. Il est donc impossible, à la lumière de ces quelques exemples, de dire que la situation permet un calcul de la cote R, puisque personne n’est soumis aux mêmes contraintes de confinement.

Je sais, certains comptaient sur la session pour améliorer leur cote, et perdre cette opportunité peut sembler frustrant. Hard work pays off, mais actuellement, l’heure n’est vraiment plus à se faire la compétition. Tu connais la fable du lièvre et de la tortue? Coupe-lui les pattes à la tortue, on va voir si sa détermination à toute épreuve et son endurance incomparable font encore d’elle une championne. En plus, ce sont souvent les personnes qui étaient déjà désavantagées par rapport au système d’éducation qui le sont devenues encore plus maintenant qu’elles étudient enfermées chez elles. Sans rancune, mais je ne me demande vraiment pas pourquoi ce sont les collèges privés qui sont les plus déçus de la nouvelle décision de Jean-François Roberge.

Imagine ce qui arrive si tu permets à certains d’augmenter leur cote R malgré les circonstances : des gens qui comptaient eux aussi sur leur session d’hiver pour s’améliorer, mais qui ne le peuvent pas, verront les cotes de beaucoup d’étudiants augmenter sauf la leur, et ce malgré tous les efforts qu’ils ont mis dans leur propre éducation. Les universités n’auront pas d’adaptation à faire pour les processus d’admission de 2021 et les gens qui étaient placés dans de bonnes conditions pendant la quarantaine seront énormément avantagés par le calcul à la hausse de leur cote R. Ils en verront plusieurs être avantagés à leurs dépens. Cette prise de conscience devient terriblement anxiogène pour ceux qui souhaitent intégrer un programme contingenté. En enlevant la cote R pour tous, les universités devront assurément revoir un peu leurs exigences de processus d’admission et prendre en compte que les étudiants auront eu une session de moins à leur actif. Évidemment, les associations étudiantes continueront de défendre les droits des étudiants. Nous ne sommes pas seuls.

Cote R ou pas, je continuerai à apprendre, tu continueras à apprendre, il continuera à apprendre, on va continuer à apprendre et ça, c’est pas mal tout ce qui compte. Peut-être que tu penses que la cote R est la seule raison que l’on a d’être au Cégep, mais je te rappelle qu’il faut continuer à travailler fort et à passer ses cours. Pis quand tu le « passes » ton cours, ta compétence est atteinte, donc, objectivement, tu n’es pas moins hot que si tu avais eu 90. Ta session ne sera pas perdue.

Arrêtons, deux secondes, de toujours vouloir se comparer. Pas de cote R cette session, c’est une opportunité pour traverser cette crise sanitaire sans poids sur les épaules et faire passer sa santé mentale et physique avant tout. C’est également une occasion d’en profiter pour prendre un pas de recul et reconsidérer notre système d’éducation. D’essayer de se départir de notre propension commune à promouvoir la marchandisation de l’éducation.

Arrêtons de compétitionner un peu, et profitons du soleil.

PS : J’ai écrit ce texte hier. Je me dois de rajouter ces quelques lignes, ayant vu passer plusieurs articles assez décevants aujourd’hui. Je crois que j’ai été trop gentille et ça, je l’ai compris en lisant Brian Myles, chroniqueur du Devoir, écrire que « la cote R demeure l’indicateur de référence pour départager le bon grain de l’ivraie ». J’ai littéralement juste une chose à répondre à ça : « Pardon? » C’est un chiffre. Un chiffre à trois décimales. Ce chiffre ne tient ni compte des passions, des activités extracurriculaires, du chemin emprunté et des expériences de vie de chaque étudiant. En gros, il ne tient pas compte de pas mal tout ce qui nous rend humains. Ce dont il tient compte, c’est de nos notes au moment où on passe par le collégial, peu importe comment ça allait dans nos vies avant et indépendamment de comment ça va aller après. Je me sens mal pour ceux qui croient que perdre une session de cote R affectera les futurs étudiants privilégiés qui visent un programme contingenté. Inquiétez-vous pas les cocos, vous êtes privilégiés. Vous allez vous en sortir. En fait, allez-vous vous en sortir? Je sais plus trop, honnêtement. Si sans ce chiffre magique, votre envie d’apprendre et vos efforts disparaissent, je pense que le nivellement par le bas, ce n’est pas M. Roberge qui en est responsable, mais bien votre vision de ce qu’est l’éducation. La poursuite d’une note dont nul ne comprend vraiment le calcul ne devrait pas être la seule raison de s’instruire et de se parfaire. Chercher la cote R, c’est comme chercher le salaire : tu passes complètement à côté de la plaque. J’ose espérer que la vie humaine n’est pas celle que les libéralistes comme Mandeville ont décrite. À toujours chercher les notes, les pourcentages, les rendements et les chiffres, on perd le sens de la vie.

Note à part, le processus d’admission n’aura pas le choix d’être adapté l’année prochaine, de la même manière qu’il a dû être adapté cette année. J’aimerais tellement que cette crise nous ouvre les yeux sur la teneur complètement subjective et non concluante  de la cote R. Si les universités mettaient plus de poids dans les entrevues et la valeur humaine des étudiants, on vivrait dans un monde tellement plus doux. Personnellement, j’aimerais bien mieux que l’infirmière qui s’occupe de moi quand je serai en CHSLD, que le médecin de famille qui me suivra toute ma vie ou que l’avocat qui aidera celui qui a subi une injustice soit un humain avec un parcours étonnant qui l’ait fait grandir et des qualités d’ouverture, de tolérance et de respect. « Messemble » que je préfère ça à un solide 35,000.

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