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OPINION
23 septembre 2020

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Il m’arrive souvent de m’attarder dans les allées des boutiques de papeterie. Je feuillette distraitement les carnets aux pages vides en me demandant ce qui pourrait bien y être consigné. Mais une fois acheté, le cahier en tant que tel perd à mes yeux presque toute sa valeur dès le premier mot inscrit à l’intérieur. J’en suis venue à penser que ce qui me fascine dans un carnet vide, c’est le fait, justement, qu’il soit vide. Je m’explique.

Nous connaissons tous la célèbre phrase tirée du roman Le Petit Prince de Saint-Exupéry: «S’il vous plaît… dessine-moi un mouton !» À ce moment dans l’histoire, le pilote d’avion rencontre le Petit Prince pour la première fois, au milieu du désert alors que son avion est en panne. Il se réveille au son de la voix de cet étrange petit bonhomme qui désire plus que tout au monde le dessin d’un mouton. Désemparé, le pilote tente d’esquisser l’animal du mieux qu’il le peut, mais chaque tentative ne convient pas au capricieux petit prince. Puis, l’homme finit par dessiner une caisse avec trois trous en disant au petit garçon que le mouton qu’il veut se trouve à l’intérieur. Surprenamment, c’est cette version du dessin que le petit prince accepte, le visage illuminé en s’exclamant: « C’est tout à fait comme ça que je le voulais ! ». Ce que nous montre ce passage, c’est qu’il faut parfois laisser l’imagination faire le travail, de ne pas s’en tenir nécessairement à ce qui est réel et tangible. Le petit prince préfère imaginer son mouton comme il lui plaît, plutôt que de le voir tout tracé déjà sur le papier.

Ce qui expliquerait peut-être pourquoi je préfère tourner les pages d’un carnet vide en me représentant son potentiel plutôt que de le compléter. Un cahier vide, c’est comme une boîte contenant un mouton.

Ceci m’amène à parler du concept de l’imagination. Dans le roman de Saint-Exupéry, on retrouve fréquemment l’expression «les grandes personnes». Nous savons que l’auteur fait référence aux adultes et que ceux-ci, du moins dans l’histoire, sont des êtres sans imagination. Mais cette capacité de se figurer des idées ou des histoires qui n’existent que dans l’imaginaire, est-ce seulement les enfants qui en sont dotés ? La définition du mot imagination se lit comme suit dans le dictionnaire Larousse: « Fonction par laquelle l’esprit voit, se représente, sous une forme sensible, concrète, des êtres, des choses, des situations dont il n’a pas eu une expérience directe. » Sommes-nous, une fois à l’âge adulte, capables de laisser grandir notre imagination comme le fait le petit prince ?

Selon moi, la réponse à cette question est oui. Il y a plusieurs moyens par lesquels on peut entretenir une imagination débordante, un coeur d’enfant en quelque sorte, même avec l’âge. Une première activité qui stimule cette capacité à imaginer est d’abord la lecture. Julien Green a d’ailleurs dit: « Un livre est une fenêtre par laquelle on s’évade. » Et par « s’évader », je devine que la signification s’apparente en réalité à une évasion de la pensée vers le fictif, l’imaginaire. Effectivement, à l’inverse d’un film, un écrit oblige notre esprit à visualiser, concevoir l’action qui s’y déroule ainsi que l’allure extérieure des personnages et des décors. Les lecteurs s’entraînent donc souvent à imaginer ce qui se trouve dans la caisse à trois trous, en plus de bénéficier des nombreux bienfaits de la lecture, notamment au niveau de l’amélioration du français et de la créativité.

La créativité est un autre élément important relié à l’imagination. Plus on imagine, plus on crée. Et l’art est l’héritage d’une civilisation, ce qui marque et qui reflète sa culture. Que ferait-on sans les artistes dont l’imaginaire s’exprime dans nos musées, nos rues et mêmes nos maisons ? Toutefois, il y a cette mentalité dans la société selon laquelle il faut nécessairement un talent pour s’adonner à une activité artistique ou culturelle. J’aimerais déconstruire cette idée en employant encore l’exemple du Petit Prince. Dans l’histoire, le pilote d’avion dit avoir abandonné, à six ans, «une magnifique carrière de peintre» en raison des médisantes réactions des adultes à son tout premier dessin. Toute sa vie, le pilote n’a plus jamais retouché à ses crayons jusqu’au jour où il a rencontré le petit prince. C’est alors que, quelques années plus tard, pour raconter cette histoire, l’homme décide d’acheter du matériel de dessin. Il dresse des portraits simples en faisant des efforts pour représenter le petit prince, mais, même s’il reconnaît que ses ébauches ne sont pas tout à fait ressemblantes, il est satisfait de les avoir dessinées, car son but est atteint: il n’oubliera jamais son ami. C’est pourquoi il faut chanter faux, dessiner imparfaitement et écrire maladroitement. Peu importe, tant que l’activité satisfait celui qui la pratique. Et je crois qu’il est important de cultiver cet aspect artistique et d’exercer souvent son imagination.

En conclusion, je crois bon de dire que l’imagination est une facette éblouissante de l’humanité et qu’elle touche tout le monde. À titre d’exemple, pensez seulement à John Lennon avec sa célèbre chanson Imagine. Catégoriser ainsi les adultes comme étant sans imagination est une conception légèrement exagérée. Chacun a son côté créatif personnel et parfois bien caché. Le message dans ce texte de réflexion est que nous pouvons être « des grandes personnes » tout en conservant cette étincelle qui se rapporte à la création et à l’imagination, ce quelque chose qu’on identifie parfois avec difficulté. Comment se fait-il que notre cerveau soit si prompt à avoir des réflexions comme celles-ci ou à se figurer des éléments imaginés? C’est une question fascinante qui devrait être davantage étudiée, mais pour le moment, ce qui importe est de déployer ses ailes et de se laisser rêver.

Pour citer Lennon: « Vous pouvez dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul... »

Dessine-moi un mouton : réflexion sur l’imagination

Noémie Fortin-Tchernof

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